Le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Cass. soc. 9-11-2016 n° 15–10.203 FS-PBRI).
Dans un arrêt du 7 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation fournit un exemple d’application des conditions d’admissibilité de l’atteinte à la vie personnelle d’un salarié à des fins probatoires. Dans cette affaire, l’employeur a saisi le tribunal d’instance pour contester la candidature de 3 salariés dans des collèges électoraux dont il estimait qu’ils ne relevaient pas, au regard de leur classification professionnelle. A l’appui de sa demande, il a produit en justice, sans leur accord, des bulletins de paie des intéressés, lesquels ont également été transmis à plusieurs organisations syndicales. Les salariés concernés ont alors saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes pour faire cesser cette atteinte à leur vie privée. La cour d’appel, statuant en référé, a reconnu l’atteinte à la vie privée et ordonné le versement à chacun de la somme de 1 000 € à titre de provision de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral. A l’appui du pourvoi formé contre cette décision, l’employeur faisait notamment valoir que la production des bulletins de salaire était nécessaire à sa défense dans le cadre du litige qui l’opposait aux parties, et proportionnée au but poursuivi, d’autant que les informations en question étaient susceptibles d’être communiquées aux organisations syndicales dans le cadre de leurs missions.
La chambre sociale de la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges d’appel : seules les mentions du bulletin de paie relatives à l’emploi occupé, à la classification et éventuellement à leur coefficient étaient nécessaires au succès des prétentions de l’employeur dans le cadre du litige électoral. Par conséquent, la communication, sans accord des intéressés, des bulletins de paie sans occultation des autres informations personnelles y figurant, dont le domicile, le salaire, l’âge, la domiciliation bancaire et des arrêts de travail pour maladie, porte une atteinte injustifiée à leur vie privée.
En outre, la Haute Juridiction indique qu’en application de l’article 9 du Code civil, la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation, dont il appartient aux juges d’apprécier le montant. Ainsi, la jurisprudence récente imposant au salarié de prouver l'existence d'un préjudice pour obtenir des dommages et intérêts en cas de manquement de l'employeur à ses obligations (Cass. soc. 13-4-2016 n° 14-28.293 FS-PBR ; Cass. soc. 30-6-2016 n° 15-16.066 F-D) ne s’applique pas en cas d’atteinte à la vie privée.
Aliya BEN KHALIFA
Pour en savoir plus sur la protection de la vie personnelle des salariés : Voir Mémento Social nos 17025 s.