Pour les chefs d’entreprise, « le passage à l’acte est souvent difficile et les freins nombreux ». Pourquoi ? Comment appréhendez-vous les réticences de vos clients et parvenez-vous à les convaincre de s’engager dans une démarche de cession ?
Stéphane Cohen. L’incertitude économique et la fiscalité sont les principaux freins aux opérations de cession d'entreprise.
L'incertitude économique impacte la valorisation de l’entreprise cédée et la capacité d’obtenir des financements afin de racheter l’entreprise.
Le contexte fiscal qui entoure la cession comporte une question principale (combien va-t-il me rester une fois la cession faite ?) et des idées préconçues, en matière de transmission familiale notamment.
L’expert-comptable contribue à lever les interrogations et les doutes parce qu’il connaît très bien l’entreprise, la situation patrimoniale du dirigeant. Très facilement, il peut anticiper le cadre fiscal dans lequel la transmission va pouvoir s’organiser. Il mettra en œuvre un certain nombre de dispositifs pour préparer la cession.
Quel message adressez-vous aux chefs d’entreprise ?
SC. Le message principal qu’il faut délivrer aux dirigeants et chefs d’entreprise est qu’une transmission s’anticipe. Il y a un certain nombre de diligences, d’actions à mener pour parvenir à la fiscalité la plus adaptée, voire optimisée. Il faut démontrer au client que la fiscalité ne sera jamais le moteur de la transmission. En général, la décision de cession se prend dans la perspective du départ à la retraite, mais pas seulement.
D’après le sondage réalisé par l'institut Elabe à l'occasion de la journée Transfair, l’âge du cédant se situe entre 50 et 59 ans. Aujourd’hui, les chefs d’entreprise ont une vie professionnelle de plus en plus courte, parfois entre 5 et 10 ans. Arrive un moment où ils ont envie de changer d’horizon ou d’activité, de passer le relais. Les freins psychologiques peuvent aisément être levés par l’expert-comptable qui a la connaissance de l’entreprise, du contexte familial et patrimonial. Il pourra ainsi proposer des arbitrages. La fiscalité dépend beaucoup de la volonté post-cession du chef d’entreprise. Elle sera différente selon qu’il a atteint l’âge de la retraite ou qu'il a l’intention de réinvestir dans une autre activité. Dans ce cas, on organise un autre montage avec la constitution d’une holding à laquelle on va apporter les titres, céder l’entreprise et réinvestir dans la foulée le produit de la cession. 28 % des cédants souhaitent réinvestir tout ou partie du fruit de la cession.
L’autre grand frein actuel réside dans le contexte économique…
SC. Depuis 2008, même si avant les attentats du vendredi 13 on s’inscrivait doucement dans une phase de retour à la croissance, la crise a eu des impacts directs sur la valorisation des entreprises. Leur rentabilité ayant diminué, les dirigeants se demandent quel est le bon moment pour céder leur entreprise. Doivent-ils attendre un retour à des conditions de marché plus avantageuses ou faire un arbitrage en acceptant le principe d’une cession aujourd’hui afin de redémarrer une activité ?
Par ailleurs, compte tenu de la rentabilité un peu dégradée des entreprises ces deux dernières années, les acquéreurs ont de plus en plus de mal à convaincre des partenaires financiers de les suivre dans une opération.
Quel est le rôle de l’expert-comptable ?
SC. L’apport de l’expert-comptable qui accompagne le cédant est d’essayer de valoriser au mieux l’entreprise notamment en allant chercher une rentabilité normative. Un compte de résultat ou un bilan ne sont pas suffisants. L’expert-comptable est un traducteur qui pratique la finance tous les jours quand le chef d’entreprise est lui un généraliste, spécialiste de son secteur d’activité mais qui n’a pas les éléments de langage financiers.
L’expert-comptable met en œuvre un dispositif de cession de l’entreprise, un « info memorandum », et un process qui lui permettra de mettre face à face la valeur de l’entreprise avec les candidats acquéreurs. Il rassure le dirigeant. En présentant bien l’entreprise, en parvenant à démontrer un projet de croissance futur, que l’entreprise se situe sur un secteur dans lequel elle pourra développer des synergies avec d’autres cibles, la valorisation n’est alors plus un sujet.
Cette démarche s’applique quelle que soit la taille de l’entreprise. Il faut sérier l’information et les opérations prennent évidemment plus de temps dans une entreprise de taille intermédiaire (ETI) que dans une PME.
La transmission de PME fonctionne mal entre autres parce que vendre son entreprise requiert de s’organiser à l’avance ce qui n’est pas souvent le cas. Il faut entrer dans une démarche organisée et structurée. Si, à l’inverse, rien n’est planifié, tout sera très compliqué.
Sur une ETI, le document de présentation de la cession fera 250 pages tandis que pour une TPE, il en fera 20. Les mêmes informations sont données (forces et faiblesses de l’entreprise, contexte concurrentiel, etc.), la démarche est identique. Il faut mettre en place un véritable process de vente, organiser une data room, gérer les aspects familiaux, fiscaux. C’est valable pour les groupes et pour les PME. L’acquéreur doit pouvoir connaître les stratégies mises en place, les produits destinés à assurer la rentabilité future, etc. de nature à expliquer ce qu’est l’entreprise, le bilan à lui seul restant insuffisant.
Quels sont les délais habituellement constatés pour aboutir à une cession ?
SC. Psychologiquement, le dirigeant doit se préparer un an à l’avance. Dès lors que le chef d’entreprise a travaillé le memorandum avec son conseil, qu’il s’inscrit dans une dynamique et que le projet est structuré, le délai moyen de cession est de 4 à 6 mois.
En effet, il faut un ou deux mois pour préparer la documentation, le même temps pour cibler les intervenants avant la phase des audits et l’élaboration des documentations juridiques.
Quelles recommandations faites-vous à vos confrères ?
SC. En pratique, ce sont souvent les chefs d’entreprise qui initient la dynamique sans avoir le réflexe d’interroger leur expert-comptable, ce qui est dommage. C’est donc aux experts-comptables de voir quand une entreprise devient mature, de percevoir quand le dirigeant est prêt pour passer le relais, d’identifier qu’il entre dans une phase d’aboutissement de son parcours professionnel ou qu’il a envie de changement. Ils doivent dès lors le sensibiliser à la démarche de cession. Il s’agit de vendre un « rêve professionnel ». 85 % des chefs d’entreprise recherchent un candidat à la reprise capable d’assurer la pérennité de l’entreprise plutôt qu’un prix. Le prix de cession n’est pas la motivation principale pour les TPE-PME.
Quelles compétences doivent-ils acquérir ou renforcer pour aider les dirigeants ?
SC.Techniquement, nous disposons de l’ensemble des compétences financières, juridiques et fiscales requises. Si nos compétences d’organisation et de présentation des memorandum peuvent être améliorées, la vraie difficulté se situe ailleurs. Pour les petites entreprises, rencontrer des repreneurs est très compliqué. Il manque des plate-formes ou des bases de données qui favorisent la mise en relation cédants – repreneurs quand il s’agit d’entreprises de petite taille. Elles ne sont pas dans les radars. Cette cible se situe entre 1 million d’euros de CA avec 3 salariés et 3 millions avec moins de 30 collaborateurs.
Propos recueillis par Alexandra Deschamps le 23-12-2015.
Pour en savoir plus, voir Mémento Transmission d'entreprise 2015-2016.
Stéphane Cohen